La rivière arc-en-ciel

[Apeiron]

Le Portail du monde d'origine de l'Ordre du crépuscule

C'était un lieu d'absurdités. Nimeroni jetait de longs regards autour d'elle en essayant de comprendre l'incompréhensible.
Il n'y avait pas d'horizon. Le sol partait dans tous sens selon la forme d'une selle de cheval, deux côtés se montant à l'infini et deux autres plongeant trop loin pour que le regard puisse accommoder. De plus, un miroitement constant qui semblait être une propriété de l'atmosphère empêchait d'y voir clairement bien loin. L'air était parfaitement respirable, quoiqu'avec une légère odeur de réglisse.
Ils étaient sur ce qui semblait le sommet d'une falaise, dont le fond se perdait dans un scintillement rappelant un ciel d'été reflété sur une mer agitée. Le ciel était composé de nuages iridescents où passaient ce qui rappelait vaguement des comètes ou des feux d'artifice. Le plus étonnant était peut-être une sorte de rivière aux eaux arc-en-ciel qui passait au dessus de leur tête sans support apparent et qui parfois s'arquait en des motifs imprévisibles. Il n'y avait pas de vent, et le sol semblait incrusté d'éclats vifs de différentes couleurs, dont certaines sur lesquelles il était difficile de mettre un nom.

Bienvenue dans les Limbes, Nimeroni.

Comme la prêtresse gardait le silence, Apeiron continua.

Les Limbes sont formées d'une superposition d'univers improbables, et même si ce sont les mêmes lois qui décrivent les univers, le changement d'état dû à cette superposition donne lieu à des résultats surprenants, et à vrai dire pour la plupart difficilement prévisibles.
Il existe des motifs et des schémas dans ce chaos apparent, mais même les Anciens n'ont pu en comprendre qu'une infime partie.
Néanmoins, malgré les apparences, les Limbes sont infiniment plus structurées que le Chaos qui se trouve plus loin encore, et les conditions environnementales limitent la présence d'ombres trop fragiles, ce qui en un sens les rend moins dangereuses que les zones affaiblies du réseau, même si elles ont leurs propres contraintes...

Nimeroni s'avisa soudain de deux faits significatifs : elle sentait son intégrité s'effriter et Apeiron ne lui avait pas lâché la main.

[Nimeroni]

Surprise par le premier fait, Nimeroni lâcha immédiatement ses pouvoirs.
Le degré de réalité de la prêtresse fît une chute vertigineuse. Les traits de la prêtresse devinrent trouble comme si elle se diluait lentement dans les limbes, déteignant dans l'air environnant. Seule la main encore tenu par Apeiron ne semblais pas souffrir de la dispersion.
En même temps, Apeiron senti une vague d'énergie émanant de la jeune femme, une énergie sombre et parfaitement contrôlée.

Après un instant d'hésitation, Nimeroni énonça calmement le raisonnement suivant:

Les Limbes sont... elle ferma lentement les yeux et dodelina de la tête ...instables !
Ou plutôt faiblement cohérentes. Donc un être faiblement affirmé, une ombre par exemple, va se disperser rapidement dans le chaos environnant. Même un être vivant stable ne peut pas tenir longtemps ici. Je trouve les Limbes dangereuses, bien plus que quelques ombres sur le Chemin.

On est ici pour quoi au juste ?

[Apeiron]

Une légère inquiétude, comme la réminiscence d'une crainte, passa fugitivement sur le visage d'Apeiron. Le temps d'un battement de cil, il s'était repris et avait attiré Nimeroni contre lui et s'était baissé, de façon à ce que la jeune femme soit dans une position accroupie. La prêtresse se rendait maintenant clairement compte que le corps d'Apeiron agissait comme une sorte d'objet magique, stabilisant la zone et fournissant une protection efficace contre le chaos de ces lieux.

Tu as encore de mauvais réflexes. Devenir une ombre n'est pas la solution à tous les problèmes, et ici cette erreur aurait pu te coûter la vie. Je t'ai fait venir pour que tu apprennes ce qu'est vraiment le Voyage, jusqu'où tu peux aller et ce qu'il sera nécessaire que tu maitrises pour ne pas avoir besoin de moi pour y retourner. Le Voyage n'est pas qu'un moyen de transport pratique, c'est à la fois une voie spirituelle et une arme dévastatrice. Il te faut sagesse et technique pour le maîtriser et en ce moment même, comme tu ne t'es pas dissoute, une part de toi est en train d'apprendre, d'acquérir les sensations de ce genre de lieux et de se familiariser avec le changement inhérent à l'existence.

Son ton était calme, mais légèrement pressant, car il était clair qu'ils ne pourraient pas tenir très longtemps dans ce genre d'endroit vu l'état de Nimeroni. Apeiron marqua une pause, et reprit.

Retiens bien ceci : Tout existe quelque part, et le vrai problème c'est que faire avec ce qui est à ta portée. Ces endroits sont réels dans le sens où tu peux y vivre des choses et en garder des traces dans d'autres mondes, mais sans jamais perdre de vue ce qui est important pour toi. La capacité de voyager permet de défier la normalité en tissant des possibles avec plusieurs réalités. C'est l'essence de ce que les différents autochtones du Réseau appellent "magie", mais tu en sais suffisamment pour comprendre qu'il s'agit d'un phénomène incroyable mais pas miraculeux, et que seules la maitrise technique et la liberté de l'imagination sépare le pire brigand ou l'humble paysan des grands magiciens des temps anciens.

Apeiron se baissa un peu plus et ramassa quelques pierres scintillantes qui brillaient au sol.

Ce qui n'est ici que du gravier est une pierre précieuse ailleurs, ou même une source d'énergie fantastique. Dans certains mondes, ces pierres sont utilisées pour guérir et dans d'autres ont la réputation de pouvoir inspirer les devins. Et il y a une multitudes d'utilisation selon les lieux que même moi j'ignore, et plusieurs vies ne suffiraient à toutes les recenser. Ainsi, même si cela est surtout vrai pour les mondes éloignés...

Nimeroni sentit alors comme une torsion forte mais maitrisée de la réalité qui l'entourait, et comme un voile qui se déchirait des couleurs et des formes pénétraient son cerveau sans passer par ses sens habituels. Cela ne dura que le temps de s'en rendre compte, et Apeiron et elle disparurent rapidement, en ne laissant qu'un léger "pop" comme trace de leur passage.

Faubourgs de Terfoir, le cimetière

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