Centre ville de Terfoir, joaillerie Esther

[Apeiron]

Faubourgs de Terfoir, le cimetière

Les voyageurs avaient laissé le jeune ingénieur faire les frais de la conversation avec enthousiasme, en dissertant sur les propriétés optiques et chimiques de certains matériaux manifestement tout à fait fascinants qui étaient disponibles dans la société edrerane. Les badauds lui jetaient un regard amusé, comme s'ils étaient habitué à ce jeune excentrique qui aimait manifestement discuter de son travail. Apeiron et Nimeroni se contentèrent de sourire et de glisser quelques commentaires encourageants, sauf à un moment où Apeiron glissa habilement une question sur l'indice polaire de réfraction de la lumière au sein d'un champ magique de haute intensité dans la région, question à laquelle répondit Derich après un instant de réflexion, mais qui lui laissa l'impression étrange que le pèlerin semblait avoir plus de connaissances physiques qu'un premier coup d'œil aurait pu le laisser supposer. Ils finirent par atteindre la boutique, et Apeiron proposa aimablement au jeune homme de rester avec eux puis d'aller manger ensemble. Avant qu'il eut le temps de répondre, une exclamation de surprise jaillit de l'intérieur de la boutique et le vieux Asther sortit en trombe de son étal pour se planter devant le groupe.

Apeiron ! Vieille canaille, je me demandais si tu allais un jour montrer à nouveau le bout de ton nez blafard !

Le vieille homme devait faire parti dans le passé des gens que l'on nomme "force de la nature", bien que sa carrure ait un peu fondu depuis, à cause de la vieillesse mais aussi de l'opulence, et que des cheveux blancs et des rides hantaient son visage jovial et franc. Celui qui se serait contenté de cette première impression aurait fait une erreur grossière, car il s'agissait en réalité d'un des joaillers les plus adroits de tout Edrera, et qui avait un certain sens des affaires, certes assez personnel, mais qui lui avait permis de devenir en quelques années un des notables de la capitale, malgré ses manières bourrues et son profil peu aristocratique.

Bonjour Asther, cela faisait longtemps. Je constate avec plaisir que tu ne m'as pas oublié, dit-il avec un léger sourire en coin.

Comment aurais-je pu oublier celui qui... hum, il vaudrait peut-être mieux échanger des... commérages à l'intérieur de la boutique, nan ? J'offre l'apéritif à toi et tes amis, ajouta-t-il dans un élan de générosité laissant Derich, qui connaissait les habitudes du vieux bougre, tout à fait perplexe.

[derich]

Derich était interloqué par la réaction de Asther. Ce vieux bougre, rapace comme pas possible quand il s'agissait d'affaires, n'avait pas coutume d'inviter ses clients, même les plus réguliers, à prendre un verre chez lui... Derich se demandait quelles genres de relations Apeiron aurait pu avoir avec Asther dans le passé...

Bonjour Asther, es-ce que je peux poser mes affaires derrière ton étal?

Derich! Désolé, je ne t'avais pas remarqué... Viens donc, je t'invite aussi...
Il se tourna vers son apprenti, un jeune homme roux répondant au nom de Tom, vêtu d'un tablier marron. Ce dernier était en train de jeter un coup d'œil par la fenêtre pour voir d'où provenait l'agitation devant le stand. Asther lui demanda de garder l'étal pendant quelques minutes, le temps d'accueillir comme il se doit ses invités.

Au fait, Tom m'a dit que tu comptais partir très bientôt en voyage. Tu comptes partir où et quand?

Derich poussa un léger soupir, et répondit brièvement, tout en posant son sac et sa machine derrière l'étal:

Je comptais justement partir demain. Désolé de ne pas t'en avoir parlé moi-même plus tôt, mais j'ai pris cette décision que très récemment, et j'ai dû redoubler d'efforts pour terminer tous mes travaux en cours... Après, pour où je vais, je compte remonter le fleuve vers l'Est jusqu'à Técrala. Puis, j'aviserai là bas, en fonction de... ce que j'y trouve...

[Apeiron]

La boutique en elle-même était vaste et bâtie sur un seul étage, comprenant différents rayonnages et portants montrant le travail du joailler, ainsi que ses tarifs, qui n'étaient pas complètement déraisonnables mais qui montraient que la qualité se payait et que le vieil Asther en était bien conscient. Apeiron accorda un regard à quelques objets incrustés de pierres précieuses rendant un éclat particulier à la lumière, ainsi qu'un un étal montrant des bijoux de bronze.

Puis le groupe prit un escalier en colimaçon qui le conduisit à l'étage, qui servait manifestement de lieu d'habitation. Le salon coincé entre les deux chambres donnait un nouveau sens à l'expression "cocon douillet". Les murs et le sol étaient pavés de plusieurs couches de tapis et au plafond des soieries pendaient dans un froufrou multicolore. Il y avait des coussins où s'asseoir et des tables basses, qui portaient des échantillons de nourritures ou de boisson. Asther chercha dans un coin de la pièce et en retira une bouteille de vin qu'il coupa au miel comme c'était l'usage. C'était manifestement le lieu où il recevait ses meilleurs clients, mais surtout l'endroit où lui-même se délassait après une journée, ou peut-être une vie, de labeur.

J'ai vu de très beaux bijoux en bronze qui n'étaient pas de ton style. Ton apprenti, je suppose.

Ouais. Ca lui permet de se faire la main sur des matériaux pas trop coûteux, et en plus il m'a dit qu'il aimait ça. "La beauté n'est pas dans la matière mais dans la forme" qu'il m'a dit. Il commence à attirer des gens du peuple et des mystiques, ce qui pourrait nuire à ma réputation...

Apeiron lui jeta un regard étrange, presque sévère.

Mais bon, il est jeune, et je sais que j'ai été jeune moi aussi. C'est son projet, et comme il continue de faire du travail de très bonne qualité, presque aussi bon que le mien, ajouta-t-il avec un clin d'oeil, il pourra hériter de la boutique quand je prendrai ma retraite. Je ne sais pas quand ça arrivera, mais je sens l'âge faire son effet peu à peu, Apeiron, alors que toi, tu n'as pas pris une ride. Pas que j't'en veuille, hein, j'me faisais juste la réflexion, c'est tout. Et j'avoue que ça me plairait de partir la tête haute, après quelques œuvres qui resteraient dans les mémoires, tu vois ? Pas ce que je fais pour les bourgeois, nan, quelque chose pour l'église ou la bibliothèque, ou même l'académie de magie. Bref, t'es venu pour ça, j'me trompe ?

Un léger silence plana dans la pièce avant qu'Apeiron ne réponde.

Oui, Asther. Je suis ravi de voir ce que tu as fait des dernières pierres que je t'avais apportées, et je constate même que tu en as gardé certaines en bas. Te connaissant, je me doute que tu les réservais à ceux qui en seraient dignes, qui seraient capables d'en apprécier la beauté. Même quand tu étais chef de bande dans ta jeunesse tu avais gardé cette sensibilité pour les belles choses qui m'avait attiré vers toi. Te vendre les pierres à l'époque n'a fait que lancer ta carrière. J'ai appris que tu en avais échangé une partie pour apprendre le métier auprès de l'ancien propriétaire de la joaillerie, et que les premiers bijoux pour la noblesse t'ont fourni de quoi assurer ton avenir. Tout ce que tu as fait, c'est à ton talent que tu le dois, je n'ai fait que de te donner l'occasion de l'exprimer. Je suis ravi de voir comment tu traites ton propre apprenti, et surtout je suis ravi de pouvoir de permettre de réaliser ton chant du cygne. Je t'avais bien dit que je reviendrai, cher Asther.

Apeiron lui sourit, et Derich s'aperçut avec stupéfaction que le vieux bougre pleurait. C'était de là qu'il tirait la beauté de ses bijoux, qu'on ne retrouvait nul part ailleurs. Tout le monde savait qu'il devait y avoir un secret pour réaliser de telles œuvres, mais peu devinaient qu'il s'agissait de la sincérité du cœur, et non d'une adresse physique. Nimeroni s'aperçut qu'Apeiron n'avait pas desserré le poing depuis les Limbes au moment où celui-ci l'ouvrit au dessus d'une table basse, où de petites pierres vinrent se mêler aux raisins et aux prunes. Elles scintillaient d'un reflet étrange, et du coin de l'œil semblaient émettre une sorte de halo, unique pour chaque pierre. Puis Apeiron fit un geste d'escamoteur, et apparût dans sa main une pierre plus grosse que les autres, de la taille d'un marron, qu'il tendit au vieux joaillier qui la prit sans un mot mais dont les yeux reflétaient une fascination et une déférence presque religieuses. Une minute passa, puis Asther reposa délicatement la pierre et alla soulever quelques tapis pour en tirer un coffret d'ébène d'où il tira une bourse, puis deux après une hésitation. Il les lança à Apeiron qui les attrapa au vol, une dans chaque main.

La première c'est pour les pierres. La deuxième, c'est pour être revenu au bon moment. Merci. Merci pour tout.

Ce fut un plaisir de faire affaire avec toi, Asther.

Apeiron lança une des bourses vers Nimeroni qui l'ouvrit pour découvrir plus d'une centaine de pièces d'or non frappées. Le vieil Asther savait ce que voulait Apeiron, et savait aussi que ce dernier détestait négocier mais restait très généreux. Il y avait une petite fortune dans chaque bourse. Nimeroni lança un regard interrogateur à Apeiron.

Pour toi. Nous y sommes allés à deux, c'est normal que tu récupères une des deux bourses.

Avant que Derich ne demande où ils étaient allés, le vieil Esther avait repris ses manières habituelles et avait sorti un tord-boyau de sous un tapis.

Trinquons !

[derich]

Derich contemplait longuement son verre d'alcool, l'air presque effrayé de son contenu. Cependant, il se força à trinquer avec les autres et trempa ses lèvres dans le liquide fortement alcoolisé, avant d'en avaler une gorgée franche...

... quelques instants plus tard, il finit de vider le contenu de son estomac dans les sanitaires les plus proches, et revint dans la boutique, en chancelant un peu. A son grand désarrois, il avait raté le début d'une conversation animée entre Apeiron et Asther, qui semblait prendre des nouvelles de vielles connaissances. Se sentant un peu mis à l'écart, Derich reporta son attention sur la petite table où les pierres précieuses étaient étalées.

Fasciné par leur éclat et n'ayant jamais vu de pierres de cette taille, il les examina sous toutes leurs coutures, avant de les reposer et de tenter de reprendre vainement le fil de la conversation...

[Apeiron]

... et de s'apercevoir qu'Apeiron le regardait d'un air presque amusé. Avant que Derich n'ait eu l'occasion de revenir dans la conversation pour tenter de rattraper son retard, Apeiron se leva et lui dit :

Derich, il est temps pour Nimeroni et moi de repartir. Tu peux nous accompagner si tu le souhaites, mais je te préviens que ce sera peut-être un voyage sans retour et que c'est maintenant qu'il faut te décider.

Puis il laissa Derich à ses réflexions et descendit avec Nimeroni, avant de saluer Asther pour la dernière fois.

[derich]

Derich avait essayé de planifier tant bien que mal les différentes façon dont pouvait se terminer la soirée. Il avait essayé de trouver le moment propice pour dévoiler ses déductions aux voyageurs et pour essayer de les convaincre de le prendre avec eux... Il pensait dès le début que cela allait être difficile: en effet, voyager entre les mondes n'est pas donné, et les personnes dépourvues du "don" voulant voyager sont légions.

Mais, jamais Derich aurait imaginé que la situation inverse se produirait... Et encore moins aussi soudainement...

Alors que les questions s'engendraient par milliers, Derich coupa court à ses raisonnement en se disant que cette chance ne se reproduira très probablement pas. Il sortit alors prendre dans son sac un bout de papier (presque vierge) et un crayon, re-rentra dans la boutique et griffonna frénétiquement:

Asther,
Quand tu auras terminé ta journée, es-ce que tu peux aller voir mon maître Kelban et lui dire que, suite à des évènements imprévisibles, j'ai du avancer mon départ. Remercie le pour tout ce qu'il a fait pour moi et dit-lui que je regrette ne pas avoir pu le saluer avant mon départ.

Il y a également quelques affaires à moi à l'étage d'au dessus Pour ce qu'il est des vêtements, des livres et des bouts de papiers, es-ce que vous pouvez tout mettre dans une caisse que je récupérerais peut-être à mon prochain passage. Pour ce qu'il est des fioles, etc etc... vous pouvez les vendre. Pour ce qu'il est des expériences en cours, es-ce que vous pouvez les enterrer dans le jardin, à au moins un mètre en dessous du sol. Et faites attention à ne rien faire tomber... (cela est valable surtout pour la numéro 3).

Merci pour tout, et à bientôt je l'espère.

Il posa la note en évidence sur une table, retira rapidement son anneau de son doigt et rejoint rapidement Apeiron, Asther et Nimeroni qui l'attendait sur le palier de la porte. Il annonça finalement, tout en prenant son sac:
J'accepte de partir avec vous.

Asther, je t'ai laissé des instructions au sujet de mes affaires qui devraient limiter la casse.
Apeiron, Nimeroni, je ne vous cache pas que je ne suis pas vraiment prêt, mais, si vous devez repartir maintenant, je ne vais pas vous faire attendre...

[Apeiron]

Parfait.

Puis le groupe quitta la boutique et sans un mot passa brièvement par le marché de Terfoir, où se pressaient bruits et odeurs dans une joyeuse et rentable pagaïe, avant de prendre un chemin de traverse et de rejoindre le cimetière.

Faubourgs de Terfoir, le cimetière

[derich]

Dans une ruelle voisine, une ombre s'extirpa de derrière un tonneau, duquel il pouvait surveiller, sans se faire remarquer, tout ce qu'il se passait sur la place. Il regarda songeur le groupe saluer une dernière fois Asther et repartir dans la même direction par laquelle ils étaient venus. Après avoir attendu que ces derniers soient hors de vue, et que le joaillier soit retourné à ses affaires, l'homme sorti un papier de sa manche et commença à marmonner quelques paroles incompréhensibles.

Une pie gris-bleu jaillit alors de nulle part, se posa sur l'épaule de l'homme et commença à lui picorer les cheveux. Ce dernier caressa l'animal pendant quelques instants, puis, se rappelant qu'il avait une tâche plus urgente à accomplir, il posa délicatement la pie sur le tonneau et sortit un morceau de parchemin fin et une mine de charbon de sa poche. Il griffonna rapidement quelques mots, attacha son message à la pâte de l'oiseau, puis murmura à l'oreille de l'animal.

Ce dernier s'envola hors de la ruelle et disparu par dessus les toits du faubourg. L'homme, quant à lui, se dépoussiéra, sortit de la ruelle et se mêla à la foule, espérant ne pas avoir perdu trop longtemps le groupe de vue.

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